Conseil Lecture : Le Passeport, de Julia Galaski

Née de père franco-israélien et de mère allemande catholique, Julia Galaski, que l’on sent proche de la cause palestinienne (sans qu’elle le dise directement) et attirée par le monde arabe, demande à partir à Jérusalem durant une année d’étude. À sa grande surprise, elle se voit délivrer, sans l’avoir le moins du monde demandé et sans le désirer, un passeport israélien. Soudain, c’est toute la question de l’assignation à une identité qui se trouve posée à elle. Imposée même.

Son récit convoque alors ses ascendants, et leurs origines si mélangées, si diverses, si éloignées, justement, de l’assignation à une « citoyenneté », quelle qu’elle soit. Plus que bien des grandes analyses sociohistoriques, c’est tout un passé de mélange et métissage, de voisinages féconds que l’on sent ressurgir entre les lignes de ce texte. On n’est pas sans éprouver un certain vertige lorsqu’elle évoque ses oncles et ses tantes, presque tout autant juifs que Polonais, Marocains puis Français d’Algérie et enfin Israéliens, dans une identité qui, aujourd’hui peine à accepter les métissages et les nuances, les proximités, les passages.

Tout au long du livre, l’autrice cherche à tisser un lien avec les générations précédentes, peut-être à comprendre, aussi, d’où elle vient, alors que le monde d’aujourd’hui préfère parler uniquement de là où l’on se tient. C’est tellement plus facile, mais aussi tellement réducteur, comprend-on en lisant ce texte.

Le Passeport, de Julia Galaski, est un texte touchant dans lequel le politique et l’intime se mêlent de manière profonde et étroite. Une belle réussite qui trouve très bien sa place aux Éditions Les Étaques, que l’on aime beaucoup à Pied-de-biche Marque-page pour leurs textes toujours à la lisière entre les sciences sociales et la littérature. Oui, décidément, les lisières sont fertiles.

Antonin

 

Le Passeport, Julia Galaski

520 pages , 18 euros
Editions les etaques (paru en janvier 2022)

Conseil de lecture : Subtil Béton, par « Les Aggloméré.e.s »

Conseil de lecture

J’ai fini Subtil Béton il y a plusieurs jours, mais j’ai du mal à en parler de manière directe. Ce roman n’entre dans aucune case, ne correspond pas aux schémas classiques que l’on attend de la science-fiction. C’est comme si, pour l’aborder, il fallait prendre plusieurs chemins différents, les parcourir dans différents sens, sans que janais, depuis aucun point de vue, on ne puisse en saisir la globalité.

Cela est sûrement dû, en partie au moins, au mode d’écriture particulier de ce livre, dont les autrices livrent d’ailleurs un aperçu éclairant dans leur post-face. Ce texte a été rédigé au fil de quinze ans (oui oui, entre 2007 et 2022) d’ateliers de discussions féministes puis d’ateliers d’écriture. En ce sens, il se rapproche du livre « Bâtir Aussi » par le collectif « les Ateliers de l’Antémonde », auquel il revendique une certaine proximité. D’ailleurs l’argument, de manière amusante, en est l’exact inverse : dans « Bâtir aussi », une révolution avait fait chuter l’État autoritaire, la police et l’armée, et les personnages devaient se débrouiller avec leur Utopie autonomiste et ses limites, une sorte de « on a gagné, mais ça va pas être si facile qu’on le croyait ». Subtil Béton part d’un postulat exactement inverse. Cette fois, la révolution a échoué, a fini dans le sang et a laissé libre cours à l’autoritarisme et au technocontrôle d’un État soit disant écolo autoritaire, mais surtout fasciste-capitaliste, et les personnages doivent trouver un moyen de continuer à vivre et à lutter.

Ce qui est intéressant, mais déstabilisant pour le lecteur habitué à de la SF plus classique (même queer ou rêveuse), c’est que la narration s’attarde bien plus sur les relations entre les personnages, sur leurs états d’âme et leurs aspirations que sur le système qui les entoure. On passe beaucoup de temps aux côtés des personnages dans des réunions qui sentent le vécu d’autrices ayant participé à des mouvements de squat (elles se sont rencontrées, expliquent-elles aux Tanneries de Dijon et ceux qui ont lu l’infokiosque « La fabrique artisanale des conforts affectifs » retrouveront une part du propos). Rien de « sexy » (quel mot horrible dans ce contexte) ou fascinant dans les descriptions du technocontrôle ni de romantisme dans les vies de résistances que mènent les personnages. Le texte est comme râpeux, on se sent parfois englué dans les squats menacés d’expulsion avec leurs habitants risquant les « centres d’assimilation » dans lesquels on risque plutôt la mort que de signer un contrat d’accueil républicain. Bref, ça fait froid dans le dos, mais ça ne rend pas fougueux comme la « Zone du dehors » ou « Les Furtifs » d’Alain Damasio. Vous pensez que je critique ? Non, au contraire, c’est ainsi que c’est sûrement plus rée : boueux, froid et inconfortable.

Après un petit ventre mou que j’expliquerai par le foisonnement d’idées venues de la très longue période de maturation du texte (tu peux pas passer quinze ans sur un livre et couper les 2/3 de ce que tu voulais dire), le texte n’échappe pas à une petit envolée vers la fin, avec une sorte de coup d’éclat qui ouvre des perspectives à la lutte. Mais c’est sans le virilisme et les coups de massue auxquels on a parfois droit dans ce genre. C’est même plutôt poétique et rafraîchissant.

PS: À noter qu’un site bien foutu, https://subtilbeton.org/ complète la lecture de ce livre et en livre nottament plein de référence. Pour ma part, j’avoue que j’avais trouvé que Bâtir Aussi, Dorothy Allisson (les plus facile) et l’infokiosque cité plus haut.

Antonin