Conseil de lecture : Volna, cauchemard no-future trash


Christophe Siébert sort un nouvel opus consacré à la RIM (la République Indépendante de Mertvecgorod), cette fois, cela ce passe dans un futur pas trop éloigné après le « blackout » (moment où tout Internet a cessé de fonctionné) et c’est publié chez Mnémos (et non plus au Diable Vauvert, qui continuera à publier, si j’ai bien compris, les livres des autres cycles de ce univers décadent).

L’histoire de Volna est assez classique : une meuf qui n’a rien demandé se retrouve avec une chose (un singe cybernétique en l’occurrence) qui peut lui rapporter gros mais qu’en fait elle aurait mieux fait de ne pas trouver car des gros méchants le cherchent. Bien menée, l’histoire, hein, cinématographiquement, mais finalement, c’est pas tant ça qui compte : c’est l’ambiance absolument glauque et puant de réalisme, cynisme, violence, qui règne dans chaque bouquin de Mertvecgorod et qui, même si ça sent très très mauvais et que ça file des crampes, fait qu’on en redemande.

Soyons clairs c’est trash. De l’univers de Mertvecgorod, je n’avais jusqu’à présent lu que Valentina, que j’avais adoré, et je m’étais ravi du fait que c’était « pas si trash », justement (je l’avais chroniqué ici même). Bon, ben là, c’est sûr qu’à côté de Volna, le précédent c’était Blanche Neige va boire du thé chez Barbie. Parce que cette fois, c’est vraiment trash. Certains passage m’ont fait plisser les yeux, sentir des lames de rasoirs sous mes ongles et autres trucs pas sympas qui font que parfois, on lâche un bouquin*. Mais là, non. Siébert a cela de très fort, que même dans la dégueulasserie, il nous donne envie de ne pas lâcher ses personnages, de voir au bout s’ils vont enfin réussir à le surmonter ce monde de merde dans lequel ils surnagent avec peine.

S’ils y arrivent ? Je vous le dirais pas.

Je vous dirais simplement que voilà un bouquin qui sort de l’ordinaire, résolument punk, du côté des moins que rien, des tox, des prolo qui en chient, et qu’en littérature, c’est pas si souvent, en fait, qu’on est à ce point de ce côté de ceux qui sont dans la merde. Ça vaut le coup de plisser parfois les yeux.

Et puis, ce cycle, il commence à sentir le truc un peu mythique quand même (pour initié, hein, c’est pas le Seigneur des Anneaux), avec toute une exégèse qui pourrait se brancher autour. C’est beau de voir naître un monde sous les doigts d’un écrivain, même si ce monde est un cauchemar. D’ailleurs, il y a dans ce livre une référence explicite à Michael Moorcock, un hyper prolifique écrivain de fantasy très sombre et violente, et j’imagine que ce n’est pas un hasard. À la fois dans l’ambiance (violence je vous dis) et dans l’ampleur que Mertvecgorod semble prendre, y’a des liens.

À ne pas mettre entre toutes les mains, quand même, si vous passez à la librairie PBMP pour le choper, on en discute ensemble, d’acc ?

Antonin

*c’est peut-être moi qui suis trop sensible… par exemple j’ai pas réussi à finir Metro 2033 tellement je flippais à chaque fois qu’ils entrent dans un tunnel. Tiens d’ailleurs cet opus m’a un peu fait penser aux côtés sales de Metro 2033…

PS : j’ajoute, (même si je ne veux pas devenir exégète de Siébert… enfin venez en parler si ça vous branche je ne dirais pas tout sur ce blog) qu’il y a aussi un petit côté Volodine dans le déploiement de cette œuvre, prévu pour paraître chez plusieurs éditeurs, avec différents pseudonymes, etc… moi, ça me fascine cette ambition et cette ampleur.

Volna
Christophe Siébert
EAN : 9782382670880
160 pages
Mnémos (04/10/2023) 19 euros

Valentina de Christophe Siébert – Libéralisme-Destroy

En rentrant d’un concert, j’ai une fois pris un pote dans ma bagnole qui a branché son MP3 et a balancé sur l’autoradio une série hallucinante de groupes de rock russe, période perestroïka. Ça n’était qu’un petit aperçu, même si on a pas mal roulé ce soir-là, mais ça m’a donné une impression très mélangée, de nostalgie, d’énergie et d’interrogation intense. Comment est-ce qu’une si grande partie de la culture populaire proche de la nôtre pouvait s’être développée de l’autre côté du mur, dans cet ensemble si différent du nôtre que fut l’URSS ?

Couverture livre Valentina.

Le bouquin de Siébert, m’a − pour une partie − fait le même effet. Entendez qu’il vous pique votre autoradio, à moitié défoncé, et vous colle dans le crâne un son familier au premier abord, mais pourtant dissonant, étrange, remuant. Et c’est vrai pour les groupes de musique qu’il cite sans arrêt et qui rythment la narration, autant que pour l’atmosphère destroy et désenchantée de l’histoire de cette bande de gamin que l’on suit dans leur quartier complètement pourri de Mertvecgorod, quelques années seulement après la chute de l’Union soviétique.

Pour rappel, Mertvecgorod, c’est la ville imaginaire, autoproclamée République Indépendante, qu’a inventée Chistophe Siébert pour parler de la chute de l’Urss et de ses suites trash-libérales. Il a déjà fait deux bouquins dans cet univers souvent trash, toujours destroy, mais il n’est pas nécessaire de les avoir lu pour plonger dans celui-ci. Il se lit très bien tout seul.

On s’attend à quelque chose de vraiment dur dès le début du bouquin quand on voit dans quel merdier vivent ces ados, toujours bourré, défoncés, plus pauvres qu’on ne peut l’imaginer. Mais en réalité, le livre atteint une sorte de grâce (sous acide peut-être mais quand même), lorsque les jeunes entrent dans la maison d’un vieux travelo qui vient de se faire massacrer chez lui. On touche une sorte de magie punk qui m’a émerveillé et qui finalement résume assez bien ce livre : «  Si derrière les apparences on peut posséder un lit rond, passer ses nuits à y baiser, dans une lumière de boîte de nuit, sous un trou du cul géant chiant des hordes de démons, la vie vaut finalement la peine d’être vécue. »

À lire avec :
Y’a un bouquin chez Cambourakis qui se nomme Capitalisme Gore, je l’ai pas encore lu, mais je pense qu’il ira bien avec.

 

Valentina – Chistophe Siébert – Au Diable Vauvert – 272 pages – 21 €

La Machine s’arrête – TechnoCaverne de Platon

Reprendre des vieux textes de science-fiction et les lire à l’aune de notre actualité est un exercice à la mode mais, à mon avis, un peu trompeur. Les auteurs qui décrivent des technologies « futures » pour eux ne décrivent pas autre chose et les interpréter en cherchant à y calquer ce nous vivons n’est pas à coup sûr éclairant. Néanmoins, « La Machine s’arrête » de E.M.Forster à ce petit goût de rétro-futurisme et de « je-vous-l’avais-bien-dit » sur lequel il est parfois bon de s’arrêter.

Couverture de La Machine s'arrête

Dans ce texte écrit, donc, en 1909, cet auteur de SF britannique décrit un monde dans lequel les humains n’ont plus comme seul rapport avec le réel celui qui leur est fourni par « La Machine », qui leur fournit un habitat, sous la forme d’un cubicle neutre et aseptisé, de la nourriture synthétique, et surtout des contacts extérieurs dans une sorte de « visio » avant l’heure.

De ce monde, un personnage ne veut pas et, évidemment, La Machine tentera de se débarrasser de lui. Bien sûr, ce que nous voyons-là, c’est le règne d’internet et la déconnexion d’avec la nature, et il n’est pas inintéressant de lire une fiction divertissante sur le sujet (on retrouve cette vision dans VieTM de Jean Barret, qu’on aime aussi beaucoup à PBMP), mais on préférera sans doute y voir ce qu’a voulu montrer l’auteur : la révolte impossible dans au sein de la Machine, avec l’existance, en filigrane de ceux qui seront les seuls à survivre lorsqu’elle s’arrêtera, ceux qui ont choisi de vivre loin d’elle.

La Machine s’arrête
E.M.Fortser
112 pages – 7 €
L’Echappée (10/09/2020)

 

Antonin

Conseil de lecture : Subtil Béton, par « Les Aggloméré.e.s »

Conseil de lecture

J’ai fini Subtil Béton il y a plusieurs jours, mais j’ai du mal à en parler de manière directe. Ce roman n’entre dans aucune case, ne correspond pas aux schémas classiques que l’on attend de la science-fiction. C’est comme si, pour l’aborder, il fallait prendre plusieurs chemins différents, les parcourir dans différents sens, sans que janais, depuis aucun point de vue, on ne puisse en saisir la globalité.

Cela est sûrement dû, en partie au moins, au mode d’écriture particulier de ce livre, dont les autrices livrent d’ailleurs un aperçu éclairant dans leur post-face. Ce texte a été rédigé au fil de quinze ans (oui oui, entre 2007 et 2022) d’ateliers de discussions féministes puis d’ateliers d’écriture. En ce sens, il se rapproche du livre « Bâtir Aussi » par le collectif « les Ateliers de l’Antémonde », auquel il revendique une certaine proximité. D’ailleurs l’argument, de manière amusante, en est l’exact inverse : dans « Bâtir aussi », une révolution avait fait chuter l’État autoritaire, la police et l’armée, et les personnages devaient se débrouiller avec leur Utopie autonomiste et ses limites, une sorte de « on a gagné, mais ça va pas être si facile qu’on le croyait ». Subtil Béton part d’un postulat exactement inverse. Cette fois, la révolution a échoué, a fini dans le sang et a laissé libre cours à l’autoritarisme et au technocontrôle d’un État soit disant écolo autoritaire, mais surtout fasciste-capitaliste, et les personnages doivent trouver un moyen de continuer à vivre et à lutter.

Ce qui est intéressant, mais déstabilisant pour le lecteur habitué à de la SF plus classique (même queer ou rêveuse), c’est que la narration s’attarde bien plus sur les relations entre les personnages, sur leurs états d’âme et leurs aspirations que sur le système qui les entoure. On passe beaucoup de temps aux côtés des personnages dans des réunions qui sentent le vécu d’autrices ayant participé à des mouvements de squat (elles se sont rencontrées, expliquent-elles aux Tanneries de Dijon et ceux qui ont lu l’infokiosque « La fabrique artisanale des conforts affectifs » retrouveront une part du propos). Rien de « sexy » (quel mot horrible dans ce contexte) ou fascinant dans les descriptions du technocontrôle ni de romantisme dans les vies de résistances que mènent les personnages. Le texte est comme râpeux, on se sent parfois englué dans les squats menacés d’expulsion avec leurs habitants risquant les « centres d’assimilation » dans lesquels on risque plutôt la mort que de signer un contrat d’accueil républicain. Bref, ça fait froid dans le dos, mais ça ne rend pas fougueux comme la « Zone du dehors » ou « Les Furtifs » d’Alain Damasio. Vous pensez que je critique ? Non, au contraire, c’est ainsi que c’est sûrement plus rée : boueux, froid et inconfortable.

Après un petit ventre mou que j’expliquerai par le foisonnement d’idées venues de la très longue période de maturation du texte (tu peux pas passer quinze ans sur un livre et couper les 2/3 de ce que tu voulais dire), le texte n’échappe pas à une petit envolée vers la fin, avec une sorte de coup d’éclat qui ouvre des perspectives à la lutte. Mais c’est sans le virilisme et les coups de massue auxquels on a parfois droit dans ce genre. C’est même plutôt poétique et rafraîchissant.

PS: À noter qu’un site bien foutu, https://subtilbeton.org/ complète la lecture de ce livre et en livre nottament plein de référence. Pour ma part, j’avoue que j’avais trouvé que Bâtir Aussi, Dorothy Allisson (les plus facile) et l’infokiosque cité plus haut.

Antonin