Les Biches rencontrent un Beluga et emménagent ensemble

C’est une page qui se tourne et nous en sommes très excités. À la faveur de nouvelles rencontres, nous avons participé à l’ouverture prochaine d’un centre social autogéré au Puy-en-Velay : le Beluga. C’est une super équipe que nous rejoignons et qui va nous accueillir dans ce qui sera un bar-associatif, librairie, salle de réunions, de projections de films, de rencontre et de débats, une cantine… et tout ce qui nous chantera (et vous chantera puisque bien sûr ce lieu est ouvert à toutes les bonnes volontés et envies). Nous serons capables d’accueillir plus d’auteurs, de programmer plus d’événements (peut-être bien de bonne teufs pour financer le loyer!) et, nous l’espérons, d’enrichir encore notre fonds de bouquins, qui avait déjà bien progressé cette année sous les bons auspices de Camille (énorme merci à toi!). Merci à Fab et Soph d’avoir prêté un bout de votre maison (et parfois plus qu’un bout) pour que vive cette aventure, la salle du Hublot va nous manquer.

On vous donne rendez-vous vendredi 8 juillet pour l’ouverture, et tout l’été à la librairie ou au café pour tout un tas d’événements ou simplement pour venir passer un moment sympa.

Beluga et Pied-de-Biche Marque-Page, 12 ave Foch, Le Puy-en-Velay.

Ouverture du Beluga tous les vendredi et samedi de l’été (sauf pour le Grue Fest et à certaines dates d’événements de la librairie)

Rappel : le lendemain, le 9 juillet, la librairie participe à l’inauguration du renouveau de la ferme de Flaceleyre, à Vorey, avec un spectacle de cirque et concert. On vous en dit plus très vite.

Conseil lecture : Mycélium, petit conte apocalyptique

Youri Johnson, l’auteur de Mycélium, existe-t-il ? Il a un compte Instagram et expose dans des galeries d’art contemporain, mais ce n’est pas une preuve. Personnellement, j’ai des doutes, mais je ne suis pas aller vérifier sur Google, car au fond, qu’importe ?

L’important, c’est que ce poète, ou artiste, ou personnage cathartique, ait un jour entendu parler du « Champignon de la fin du monde » d’Anna Tsing et que dans son cerveau de trentenaire à peine, nourri aux récits post-apocalyptique de génération enlisée dans un capitalisme honni (il aurait pu écrire pour Le Sabot dont je vous parlais récemment et si les uns ou les autres se croisent, cela promet des étincelles), cela a fait « tilt ». Ou plutôt, cela lui a procuré un long rêve comme enfoui jusque-là sous l’humus de ses pensées, éclos sous la forme d’un champignon difforme, aux capacités prophétiques et (évidemment) sexuelles. Zouri Johnson nous livre donc là une sorte de monologue en vers libre dans lequel il faut se plonger avec mélancolie et tristesse, mais de ces tristesse, pour le paraphraser, que l’on doit se garder car elles permettent de mesurer la violence du monde.

On notera que, pour une fois, il ne faut pas zapper la préface de ce livre (aussi longue que le livre elle-même), car elle fait partie de l’œuvre elle-même, en une révélation mystificatrice (oh le bel oxymore) −à la Volodine− sur le personnage de Youri Johnson et son œuvre.

Antonin

Mycélium, petit conte post-apocalytique – youri Johnson – 80 p – 15 euros – Éditions Le Murmure
Préface : Romain Noël

 

Conseil lecture : Le Sabot (pour détourner le temps qui passe)

Parce qu’il faut savoir prendre un peu de temps pour qu’une phrase nous émeuve, alors il faut lire Le Sabot. Une étrange revue pour qui pense, quand il entend ce mot, à l’enquête, à la prise de position, ou même au samizdat enflammé. Il y a un peu de ça dans ces quelques pages A4 de littérature quasi-clandestine (car arrachée aux intestins des écrivains), mais il y a aussi autre chose. Il y a la croyance que l’on peut puiser dans les mots une force assez puissante pour saboter le monde, c’est-à-dire en arrêter les rouages. Que cet arrêt provienne des mots eux-mêmes ou de la position du lecteur qui les reçoit, je n’en suis pas sûr, mais qu’importe.

On ne peut pas lire de poésie sur un coin du bureau, avec seulement un coin de cerveau, il en va de même pour Le Sabot dont les textes, justement, tirent souvent vers la poésie. Il faut choisir son moment, ne pas être déranger. Et parfois, au détour d’une page, la phrase qui donnera son sens à toute la lecture.

Rencontre avec Anne Sibran, samedi 11 juin

Le Premier rêve du monde

Anne Sibran (ed Gallimard, mars 2022)

Pour Paul Cézanne, le regard est cet emboîtement de « la main de l’œil dans la main du monde ». Chaque matin il part au motif retrouver l’environnement sauvage de la montagne Sainte Victoire dans la région aixoise. Mais le vent, la lumière, la poussière maltraitent ses yeux, « quelque chose se détache de lui ! » Le grand maître va devoir s’en remettre à Barthélémy Racine, un ophtalmologue de génie qui nourrit une certaine défiance à l’égard de ces hommes qui prétendent « enfermer un éclat de réalité dans un carré de toile peinte. »

Et lorsque nous faisons connaissance avec sa femme Kitsidano, aveugle de naissance et membre du clan des Pieds légers, alors nous plongeons dans une profonde réflexion sur la préhension du monde, avec les mains, les yeux ou les pieds, une méditation sur le beau quand « face au vide magnétique, le regard du peintre se renverse, bascule vers son dedans ».

Sur les brisées de ses précédents ouvrages, Je suis la bête et l’Enfance d’un chaman, Anne Sibran nous entraîne de son style capiteusement poétique vers un monde mystérieux avec en trame de fond les rapports entre nature et culture.

La librairie Pied-de-biche Marque-page est heureuse de vous proposer une rencontre avec une écrivaine passionnante, sous le signe du regard intérieur, de la quête effrénée de la beauté, autour d’un ouvrage qui nous décentre et nous émerveille, à mille lieues de la brutale et surpesante actualité.

 Moment d’apesanteur, de rêve, l’essence et le plaisir de la littérature, c’est samedi 11 juin à 15h00 au Fau (commune de Mézères), à très bientôt…

pour info :

https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Haute-Enfance/Le-premier-reve-du-monde#

http://www.anne-sibran.com

Anne Sibran sera par ailleurs invitée le 16 juillet prochain au festival in d’Avignon à présenter son travail d’écriture : https://festival-avignon.com/fr/edition-2022/programmation/voix-d-auteurs-anne-sibran-201150

 

Conseil de lecture : Rot-bo-Krik, une anthropologie du soi

C’est toujours un moment particulier de découvrir une nouvelle maison d’édition. On plonge dans une manière de présenter des textes, de les choisir pour les mettre en avant. On découvre une manière de voir le monde.

Ainsi de la maison Rot-Bo-Krik qui vient tout juste d’être lancée et qui présente déjà deux textes singuliers et forts : Dieu t’a créé, tu as crié… ! et Archéologie des trous.

Le premier Dieu t’a créé, tu as crié… ! Est, selon les mots de l’éditeur « un texte hybride, poétique et politique ». Je ne saurais dire mieux. Ce texte est une anthropologie des peuples marrons de Guyane, écrit par Michel Alimeck, lui-même Saramaca, un des peuples marrons de Guyane. Il est d’une précision exquise sur la vie, les pensées, les usages en cours dans cette communauté et c’est un plaisir de s’y plonger −sans forcément le lire d’une traite d’ailleurs, on peut allègrement piocher ici ou là− tant il s’abreuve à la poésie d’une cosmogonie qui nous est malheureusement trop souvent étrangère. En s’y plongeant, on a l’impression de découvrir la vie de cousins éloignés, d’amis (tant la proximité s’établit) dont on aurait jusque-là ignoré l’existence. Il y a là de quoi s’ouvrir à d’autres vies que la nôtre, et c’est à cela , sinon à rien, que sert la littérature.

À noter que ce livre avait déjà été publié, mais à compte d’auteur, et qu’il ne devait être que rarement connu en-dehors des cercles militants guyanais. C’est d’ailleurs, m’a expliqué l’éditeur, par cette voie que ce texte reparaît aujourd’hui.

Le second texte est d’une force rare. Autant le dire tout de suite, Archéologie des trous de Stacy Hardy est le meilleur livre de fiction que j’ai lu depuis fort longtemps, en tout cas, celui qui m’a le plus remué, le plus touché. Dès les premières lignes de ce recueil de nouvelles, on sait que l’on n’en sortira pas indemne, qu’il va venir nous bouleverser et nous remuer au plus profond. Jugez plutôt : dans la première nouvelle, on écoute une médecin légiste qui fait sa propre autopsie après avoir été assassinée et enterrée à la va-vite, on poursuit avec le récit d’une jeune femme vivant littéralement dans une vache et qui décrit toutes les sensations que cela lui procure avec un effet de réalisme qui nous fait tout ressentir à sa place. C’est précisément ce qui est si fort dans ce livre. Il  mêle fantastique délirant (plus fort et imaginatif que bien des livres de Science Fiction ou de Fantasy, pourtant présentés comme la « littérature de l’imaginaire ») et réalisme très cru (il n’oscille pas de l’un à l’autre, attention, c’est vraiment les deux à la fois). C’est probablement aussi ce qui est le plus dérangeant : on se gratte quand quelque chose démange les personnages, on se fait mordre avec eux quand ils se donnent aux rats. Ce livre provoque parfois un certain malaise, aussi il ne sera peut-être pas à mettre dans toutes les mains, mais est-ce que cela ne rejoint pas, par la pure fiction cette fois, le rôle de la littérature, de nous faire sortir de nous et de proposer une vision du monde que l’on n’attendait pas ?

Là encore, il fallait une connaissance aiguë de la littérature sud-africaine pour dénicher ce texte. Et ce n’est pas un hasard qu’il ait été proposé par Dominique Malaquais, co-fondatrice de la maison Rot-Bo-Krik, historienne de l’art spécialiste de l’Afrique, chercheuse et politiste (décédée en 2021), qui était amie de Stacy Hardy et a travaillé avec elle au lancement de la revue artistique Chimurenga (https://chimurengachronic.co.za). Encore de nombreuses pistes qu’il nous faudra arpenter.

Antonin

Dieu t’a créé, tu as crié… ! : Une histoire des Guyanes

Michel Alimeck

– Rot-Bo-Krik – 11 €

Archéologie des trous

Stacy Hardy

traduit par Élisabeth Malaquais et Jean-Baptiste Naudy

Rot-Bo-Krik – 11 €

Conseil de lecture : Le Chomor (pour se mettre la tête à l’envers)

Ça fait souvent bien de dire qu’on ne sait pas trop par où commencer une chronique d’un livre. Que l’ouvrage que l’on s’apprête à mettre en lumière est trop dense, trop riche et plein d’idées pour savoir par où le prendre. Souvent, c’est de la frime (un bouquin, ça se commence par le début et c’est tout et ça se prend par la tranche, voilà). C’est pour bien faire remarquer que oui, ce bouquin compliqué, ce « livre univers », on se l’est tapé et on en est le chroniqueur avisé et introduit (parce qu’en plus on l’a reçu en service de presse et donc on l’a pas payé, vous comprenez, « on » est un prescripteur).

Eh bien pourtant, le livre de Martin Mongin, Le Chomor, a un peu de ça. Je pourrais vous le résumer, mais ça ne lui rendrait pas justice (hey, même le résumé d’un livre de Philippe Roth ça peut ressembler à une mauvaise série). Ce qui fait le sel et l’attrait de ce livre complètement dingue (oui oui, je pèse mes mots), c’est la manière dont il emmène le lecteur plus loin qu’il l’aurait jamais accepté avec un autre roman. Je ne sais pas comment fait ce type (l’auteur), mais il vous sort les rebondissements les plus barges sans jamais vous perdre.

Allez, je vous fais quand même l’histoire de base, mais franchement ne vous arrêtez pas à ça : une sorte de groupe clandestin entreprend de renverser l’hydre capitaliste, laquelle se trouve être réellement une sorte de monstre (oui je dis beaucoup de fois « une sorte », mais c’est parce qu’on ne sait jamais vraiment d’où toute provient ni ce que sont réellement les choses – vous avez compris : ce livre joue avec la réalité, il y a du Philip K.Dick là-dedans) dont il faut trouver différents points faibles qui, s’il sont correctement frappés comme un point vital aux arts martiaux, finiront par le détruire. Le dernier de ces points vitaux étant le fameux « Chomor » (le nom duquel étant explicité, mais là, ça prendrait vraiment trop de temps à expliquer là).

Au fil des chapitres voir des pages, le texte passe d’un genre à l’autre. Ça fourmille de références et de clin d’œil que l’on peut choisir de ne pas relever, mais qui sont en général assez drôle quand on capte. Mais bien sûr, on ne capte pas tout, et ce n’est finalement pas si grave. Mais surtout, le texte passe d’un genre à l’autre, à chaque nouvelle page on pense avoir compris où nous mène l’auteur et dans quel bateau il nous a embarqués, mais en vrai, non. Au chapitre suivant cela change et l’on saute allègrement du thriller fantastique, au film de Science-Fiction, voire d’horreur en passant par le livre dont vous êtes le héros, dans la peau d’une mairesse voulant remporter le prix de la ville la plus «SmartCity », dans une description qui ne déplairait pas à Damasio (tout en le faisant passer pour un théoricien pas fun). En parlant de Damasio, ceux qui ont lu Les Furtifs se souviennent sans doute avec une petite lueur d’envie dans les yeux du philosophe Varech planqué dans son château d’eau à théoriser la quatrième révolution prolétarienne alliée aux animaux. Eh bien sachez que Le Chomor contient un Varech puissance 12, en la personne de Jean-Philippe Voruz, hyper théoricien de la chute du capitalisme (qui a publi ses livres chez La Tempête, un éditeur qu’on aime bien à PBMP même si on comprend pas tout) et dont il ne faudrait pas parler à BHL au risque qu’il croie que Jean-Michel Voruz existe vraiment (comme son Jean-Baptiste Botul) et qu’il n’aille chanter ses louanges dans tous les JT, la chemise grande ouverte et les cheveux au vent.

Il faut dire, à la décharge de BHL que le livre joue sacrément avec le réel, et je ne saurais vous dire ce qu’il y a de vrai là-dedans. Je dois avouer m’être surpris à aller vérifier certains trucs sur Internet pour en avoir le cœur net. Autant vous dire que je n’en ressors pas net du tout.

Bref, ce livre oscille entre la rencontre de Donjons et Dragon avec le Da Vinci Code (je dis ça comme ça, je l’ai pas lu), ou plutôt entre Thomas Pynchon et le Seigneur des Anneaux, euh, non X-Files et La Zone du Dehors ou L’insurrection qui vient  et un bout du Déchronologue (gros clin d’œil pour ceux qui ont lu ce livre admirable, pour les autres on l’a toujours en stock à la librairie car on l’adore). Bon, en fait, on s’y perd, et c’est super bon.

Antonin

Le Chomor – Martin Mongin – Éditions Tusitala – 600 pages – 23 euros

PS : à noter pour les libraires de PBMP (oui on se parle entre nous via ce blog) qu’on pourra même le vendre en « régionalisme » si on nous demande, puisqu’une partie de l’intrigue se joue dans le Meygal. Gros plus commercial donc, on sait que le terroir ça vend !

« Nous sans l’Etat » et « Rester Barbare » : les Barbares, c’est nous

Un de mes grands plaisirs de libraire est d’établir des correspondances entre les livres. Je rêve d’une librairie (ou d’une bibliothèque personnelle) dans laquelle tous les ouvrages seraient reliés par le fil magique d’une correspondance, d’un renvoi les uns vers les autres. Car les livres se répondent, se parlent, se posent en miroir les uns des autres. Mais pour moi, le lien le plus fort est celui de la filiation. Comme si chaque livre faisait suite au précédent, reprenait le propos là où l’autre l’aurait laissé. J’aime à naviguer d’un ouvrage à l’autre en me disant qu’ils sont une cordée à l’assaut d’un Everest et qu’ils ne le graviront qu’en se passant le relais.

Aussi, quand on découvre coup sur coup deux livres qui se relaient ainsi parfaitement, c’est un grand bonheur d’abord de les lire, puis de les poser sur la table de la librairie et de les proposer à d’autres lecteurs.

C’est le cas des deux ouvrages publiés récemment que sont Nous sans l’État de Yasanaya Elena Aguilar Gil et Rester Barbare de Louisa Yousfi.

Le premier est un livre qui ouvre l’esprit, qui donne à voir la question décoloniale par les yeux d’une militante Mixe de langue ayuujk. Il pose avec précision et sans compromis les questions de l’identité et de l’appartenance. De la façon dont les Etats-Nation imposent une identité qu’ils construisent de toute pièce et de comment ils s’en servent comme un outil de répression. L’intérêt de ce livre est qu’il pose la possibilité de réfléchir en dehors du cadre de l’État et de ses institutions quand nous, Européens acclimatés au nationalisme, avons oublié cette liberté. Oui, il y a des peuples qui n’ont pas d’État (hors celui que le colonialisme leur a imposé) et qui préfèrent ne pas en avoir, qui veulent fonctionner hors de ce système qui se révèle le plus souvent pyramidal et écrasant.

La relative facilité de ce livre (entendez facilité à entendre et accepter son propos) vient du fait que Yasnaya Elena Aguilar Gil nous parle de loin. Elle s’en prend à l’État assimilationniste, au dogme d’une République unie et indivisible (comme le déclare le Mexique dans sa constitution, mais vous me voyez venir) depuis un pays lointain, une République que nous aurions tendance à considérer comme faillie et il nous est facile de nous ranger du côté des « gentils indiens » persécutés de l’autre côté de l’Atlantique et qui ne veulent pas s’intégrer au modèle qu’on leur propose.

C’est là que Louisa Yousfi et son «Rester Barbare prend le relais. Un court mot sur le titre puisqu’il peut paraître énigmatique, mais court, car l’autrice l’explique forcément mieux : il s’agit d’une réflexion de Kateb Yacine, l’écrivain algérien, qui expliquait avoir tant à dire aux « civilisés » que nous sommes, qu’il devait garder une « part de barbarie » pour pouvoir l’exprimer.

Louisa Yousfi reprend ses termes et s’en sert d’analyse politique (dans la droite ligne du Parti des Indigènes de la République, le PIR), ou plutôt de programme politique. Et là, le lien est évident avec Nous sans l’État. Tout comme les Indiens du Mexique, elle pense que les Noirs et Arabes de France souffrent conjointement de l’assimilationnisme et du rejet, ce qui les détruit s’ils tentent de s’intégrer. Soit qu’ils en perdent leurs racines, soit qu’ils demeurent relégués à être des sauvages. Louisa Yousfi refuse d’être la « bonne sauvage » des dominants. Pour elle, la clé du « devenir humain » est, comme Kateb Yacine le pressent, de « rester barbare ». Pour étayer sa thèse, elle propose plusieurs analyses littéraires, dont la plus marquante demeure, à mes yeux, celle de Fin d’un primitif de Chester Himes (qu’on a aussi le plaisir de vous proposer à la librairie). Mais là encore c’est peut-être parce que ce livre parle des États-Unis et que l’on a beaucoup moins de mal à voir combien ce pays s’est construit sur des postulats racistes et que l’on peine à accepter qu’il en va en partie de même en France (les Arabes étant nos « Nègres », pour parler crûment). Tout au long du livre, Louisa Yousfi cherche une position qui lui semble tenable, et c’est dur de voir qu’elle n’en accepte aucune. Dur pour ceux qui croiraient en un idéal républicain et armés de toute la bonne volonté intégrationniste du monde. Les icônes littéraires qu’elle convoque, principalement issues du rap (Booba et PNL, dont on regrettera une exégèse peut-être un peu longuette) ont délibérément choisi la voie de la « Bararie », mais c’est pour mieux prouver, comme le disait Lévi Strauss (bizarrement absent de ce livre) « qu’il n’y a de barbares que ceux qui croient en la barbarie ». Bref, les Barbares, c’est nous.

Nous sans l’État – Yasanaya Elena Aguilar Gil
Éditions Ici Bas – 144 pages – 15 €

Rester Barbare – Louisa Yousfi

La Fabrique – 160 pages – 10 euros

 

13 mai, RDV féministe du printemps : Notre-Corps Nous-mêmes, la santé pour et par les femmes

Vendredi 13 mai à partir de 19h, Pied-de-Biche migre à la ferme des Fromentaux (Retournac)
N’oubliez pas notre RDV féministe de ce printemps!!!
La rencontre avec Mounia El Kotni et Naïké Desquesnes, deux membres du collectif « Notre corps, nous-mêmes » qui a réactualisé le manuel de santé des femmes du même nom paru dans les années 70.
 » Ce manuel pourra accompagner les femmes dans les différentes expériences de leur vie (règles, sexualités, accouchements, ménopause, prise de conscience de son corps, choix de vie, travail…) et les aider à se défendre contre les injonctions et les violences patriarcales dans la sphère intime, institutionnelle ou publique. Nous avions envie de rendre accessible une information fondée et bienveillante, de reconquérir ce terrain, de disposer d’un livre de confiance qui soit transmissible à nos filles, nos sœurs, nos mères, nos amies, nos compagnes… dès l’adolescence et jusqu’à la vieillesse. » (https://www.notrecorpsnousmemes.fr/a-propos)

Soirée en non-mixité
entrée libre/ grignotage prix libre de 19h à 20h
adhésion à l’association: 5 euros
adresse: Ferme des Fromentaux
Le Mazel, 43130 Retournac.

Conseil de lecture : Lettres à Clipperton


D’Irma Pelatan, nous sommes déjà à PBMP de grands défenseurs du premier roman : L’odeur de chlore. Nous aimions sa manière fine et forte à la fois de mélanger l’intime et l’histoire, la subtile dramaturgie emmenant le lecteur, sans avoir l’air d’y toucher, vers un climax déroutant.


Toutes ces qualités, on les retrouve dans son second ouvrage, Lettres à Clipperton. Un roman épistolaire très original basé sur une série de contraintes très oulipiennes, dont la principale fut celle de s’adresser à « tout résidant » d’une île (Clipperton, donc) qui ne possède pas d’habitants. Ou plutôt si, elle « possède » beaucoup de monde, cette île, ou plutôt elle les obsède. À commencer par l’autrice elle-même, qui au fil des pages embarque avec elle le lecteur dans une sorte d’obsession dont les motifs sont au début assez nébuleux, comme découpés dans une brume épaisse, qu’Irma Pelatan s’attache à dissiper missive après missive, avec un sens du suspense non négligeable.


En réalité, on oublie vite les contraintes que s’est imposées l’autrice (même si elles valent leur pesant de sable clippertonien – nous n’en dirons pas plus, car c’est une gourmandise de les découvrir dans la postface du livre), pour se laisser prendre dans ce récit à la fois intime et universel de la découverte d’un territoire inhabité et relevant presque du rêve, du fantasme.


Un livre que l’on dévore en quelques jours à peine et qui, comme son précédent ouvrage, délivre bien des surprises.


Ajoutons que le livre est agrémenté d’une série de photos par les artistes Hesse et Romier, pour lesquelles certains amateurs dont nous faisons partie auraient aimé un plus bel écrin. Oui, le livre aurait peut-être été plus cher avec une impression de meilleure qualité, mais ces photos (et ces artistes) le méritaient sans aucun doute (de même qu’une possible mention en couverture). Reste qu’elles font là un bon « bonus », à ce livre, un autre regard sur cette île mystérieuse et magnétique.

Antonin

Lettres à Clipperton – Irma Pelatan – La Contre Allee (08/04/2022)

224 pages – 21,00 €

Dans les poches des biches, le 5 mars à 15h30

On pense toujours « Lire est un plaisir solitaire », on dit toujours « J’ai jamais le temps de lire », et puis encore « J’ai mieux à faire, tiens ! qu’est-ce qu’on dit sur l’Ukraine ? et on se plonge un certain temps sur son smartphone », et pourtant Fernando, qui en a lu d’autres, nous dit « la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. » Et bien voilà, nous DANS LES POCHES DES BICHES, on fera un détour par la littérature ukrainienne samedi prochain, mais pas que, et on t’attend, toi, avec tes bouquins : romans, bd, essais, Jeunesse, dans un grand mélange de lectures, d’idées, d’émotions et de youkaïdi, youkaïda.

C’est tout les premiers samedi du mois,  salle du hublot et si tu veux juste passer un moment au chaud au milieu de livres, t’es (aussi) au bon endroit.
À samedi prochain, 5 mars, à 15h30, le club des bich’

Tant que la lecture est pour nous l’initiatrice dont les clés magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. » Sur la lecture, M. Proust, ed Sillages